Qu’est-ce qu’une vie humaine ? Un peu moins d’un siècle, environ quatre mille semaines. Une somme modeste, presque dérisoire si l’on songe aux millénaires qui nous précèdent et à ceux qui suivront. Quatre mille : le chiffre est à la fois saisissant et troublant. Il ramène brutalement l’existence à une unité comptable, presque triviale, qui nous rappelle combien notre temps est court, fragile, fugace.
La tentation est grande de se décourager face à cette brièveté. À quoi bon agir, penser, créer, si nous ne sommes que des passants ? Pourtant, c’est précisément parce que notre passage est bref qu’il a du poids. La rareté confère de la valeur. Un instant ne prend sens que parce qu’il ne revient pas.
À l’échelle de l’histoire, une vie n’est rien : des empires naissent, prospèrent et déclinent sans que le nom d’un individu y change quoi que ce soit. Mais à l’échelle de l’expérience humaine, une vie contient tout : l’amour, la douleur, la mémoire, la transmission. Elle est un monde en soi, aussi dense qu’un roman. Et si le temps collectif nous dépasse, il n’existe pas sans les myriades de vies minuscules qui le composent.
Philosopher sur l’histoire, c’est accepter ce double vertige : l’infiniment grand et l’infiniment petit. Nous ne sommes qu’un souffle dans le récit du monde, mais ce souffle participe à l’élan commun. Nos quatre mille semaines, nous ne les habitons pas seuls ; elles s’entrelacent avec celles des autres, elles forment une trame invisible où se joue, en silence, la continuité humaine.
Il ne s’agit donc pas de mesurer nos existences à l’aune des siècles, mais de les vivre comme ce qu’elles sont : des étincelles de sens. L’histoire nous apprend l’humilité, mais elle nous rappelle aussi que, sans ces étincelles éphémères, il n’y aurait pas de lumière du tout.
Jacques Carles