À la fin de chaque année, le même rituel s’impose. Bilans, classements, rétrospectives s’accumulent, comme si le temps pouvait se découper proprement, se solder, se refermer. Pourtant, l’historien sait combien ces frontières sont artificielles. Les sociétés humaines n’ont jamais cessé de chercher à maîtriser le passage du temps, à en faire une histoire lisible — souvent pour conjurer l’incertitude de l’avenir.
Les fêtes de fin d’année, héritières lointaines des célébrations du solstice, rappellent cette ambition ancienne : marquer la nuit la plus longue pour mieux croire au retour de la lumière. De l’Antiquité aux sociétés contemporaines, les humains ont inscrit leurs peurs, leurs espoirs et leurs récits dans le calendrier. Clore une année, c’est moins en finir avec le passé que tenter de lui donner un sens.
À l’heure où l’actualité s’emballe et où chaque événement semble annoncer une rupture définitive, l’histoire offre une précieuse mise à distance. Les crises, les basculements, les sentiments de déclin ne sont pas l’apanage de notre temps. D’autres avant nous ont cru vivre la fin d’un monde — et, souvent, ils n’avaient pas tout à fait tort. Mais l’histoire montre aussi que les fins sont rarement nettes, et que les recommencements prennent des formes inattendues.
Penser en historien, au seuil d’une nouvelle année, ce n’est ni minimiser les inquiétudes du présent ni céder à l’illusion d’un éternel retour. C’est accepter que le temps long relativise sans consoler, éclaire sans rassurer totalement. Un exercice salutaire, peut-être, pour entrer dans l’année à venir avec moins de précipitation et un peu plus de profondeur.