On voudrait croire que l’ingouvernabilité française est une crise récente, un accident politique né de la fragmentation partisane et des colères sociales du moment. Erreur de perspective. L’incapacité à se laisser gouverner est l’un des traits les plus constants de notre histoire. La France traverse aujourd’hui un épisode de plus, non une rupture.
Déjà, sous l’Ancien Régime, le pouvoir royal régnait moins qu’il ne négociait. La Fronde, au XVIIᵉ siècle, fut une longue révolte contre un État jugé intrusif — écho lointain, mais reconnaissable, aux contestations contemporaines. En 1791 comme en 1793, la Révolution se déchire entre ceux qui craignent l’autorité et ceux qui la réclament. À chaque génération, le pays réinvente son propre désordre.
La IIIᵉ République ? On l’idéalise aujourd’hui. On oublie qu’elle vécut cinquante ans avec des gouvernements de quelques mois, renversés par un Parlement volage. La IVᵉ République ? Un modèle d’instabilité où les crises ministérielles se succédaient plus vite que les saisons. Ce n’est pas l’ingouvernabilité qui est nouvelle : c’est la nostalgie d’un ordre qui n’a presque jamais existé.
Alors que se joue, aujourd’hui encore, le récit d’une France paralysée, il faut changer d’échelle. L’instabilité française n’est pas un accident institutionnel mais un horizon culturel : une nation qui conteste avant d’obéir, débat avant de trancher, défie avant de suivre. Un pays où la légitimité ne se décrète pas — elle se conquiert, sans cesse.
C’est peut-être une faiblesse. C’est aussi, parfois, une force : la preuve vivante d’un peuple qui refuse la docilité. La France n’est pas ingouvernable : elle exige simplement d’être gouvernée autrement.