Avec le temps, la science et la philosophie ont fait perdre à la religion son monopole pour expliquer les mystères de l’existence..
Comprendre l’essence de la vie et de l’univers est un besoin fondamental de l’être humain, aussi loin qu’on remonte dans le temps. Depuis que l’homme a pris conscience qu’il était mortel, la religion l’a accompagné pour l’aider à comprendre le monde qui l’entoure, pour apaiser ses craintes devant les dangers et les incertitudes de la vie et pour apporter des réponses à ses questions métaphysiques : « Qui suis-je ? » ; « Quelle est ma place dans l’univers ? » ; etc. Sous des formes très variées la religion a aussi façonné les sociétés humaines en donnant des repères et des règles de vie à ceux qui partageaient les mêmes croyances. Avec le temps, la science et la philosophie ont cependant fait perdre à la religion son monopole pour expliquer les mystères de l’existence. De nos jours, la religion n’est plus aussi indispensable que par le passé à une bonne part de l’humanité mais pourtant les signes d'un certain renouveau religieux se multiplient.
En Europe, selon plusieurs études, la Suède est le pays le plus athée du monde : 85 % des Suédois ne croient déjà plus en Dieu. En France, fille aînée du catholicisme, selon une enquête du mensuel catholique « La Vie », moins d’un tiers des mariages sont à présent célébrés à l’Église contre deux tiers il y a 30 ans ; à peine 4 % des Français vont à la messe régulièrement et sur les 13 % qui y vont occasionnellement plus de la moitié sont des retraités. Les prévisions pour le futur vont dans le même sens : d’ici à 2050, moins d’un Français sur deux sera baptisé. Le clergé catholique lui-même est en voie de disparition. Les prêtres, pouvant assurer les baptêmes, les mariages et les enterrements, ne seront bientôt plus que 6 000 dont seuls 2 000 auront moins de 75 ans.
Aux-États-Unis, Dieu est encore omniprésent : « in god we trust » figure toujours sur le dollar. Les constitutions de chacun des 50 états mentionnent également Dieu sous une forme ou une autre. Avec ses innombrables branches protestantes et une forte communauté catholique, les États-Unis sont le premier pays chrétien au monde. Croire en Dieu y est resté longtemps un gage de moralité et une quasi obligation pour trouver un emploi. Mais les temps changent. Le nombre d’Américains qui se déclarent athées ou agnostiques approche aujourd’hui des 30 %, soit deux fois plus qu’il y a 30 ans.
Du côté de l’Islam, le terrorisme islamiste occulte une autre réalité : de nombreux musulmans quittent l’Islam ou n’en ont qu’une pratique de façade. Peu de publicité est faite à la montée de l’athéisme chez les musulmans, ce qui peut se comprendre quand on sait que plusieurs pays théocratiques condamnent encore à mort les apostats. Ne pas croire en Dieu est pire dans ces pays que d’être homosexuel pour un homme ou adultère pour une femme.
Selon plusieurs études, le nombre de ceux qui quittent l’Islam augmente un peu partout (1). En France il serait même deux fois plus important que le nombre des conversions (2). Tout laisse à penser, qu’au-delà des péripéties du court terme, l’Islam connaîtra le même processus d’affaiblissement qu’ont connu les autres religions monothéistes. C’est le sens de l’histoire dans les sociétés modernes.
Un autre élément aura des conséquences majeures pour l’Islam : le basculement de son centre de gravité du monde arabe et du Moyen-Orient vers le Sud-est asiatique.
Avec environ 200 millions de musulmans recensés actuellement, l’Indonésie est déjà le premier pays musulman au monde et compte davantage de fidèles que tous les pays du Proche-Orient réunis. Plus de la moitié des musulmans se trouvent aujourd’hui dans la zone Asie-Pacifique (Pakistan, Inde, Indonésie, Bangladesh, etc.) et cette proportion est appelée à croître : en 2050, les trois quarts des musulmans potentiels vivront donc en Asie.
L’Indonésie, sans être véritablement laïc, reconnaît officiellement six religions : l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme. Pour la grande majorité des Indonésiens, l’absolutisme en matière de religion, n’a pas de sens. Cet esprit de tolérance reste néanmoins fragile. Des poussées de violence religieuse ou raciale (vis-à-vis des Chinois et des Papous notamment) surviennent régulièrement mais l’islamisation visible que connaît le pays depuis quelques années, est davantage culturel que religieux.
Son Islam s’est différencié de l’Islam arabe qui ne parvient pas à offrir un mode vie en phase avec la société moderne. Selon le mot d’Oliver Roy, l’Islamisme « finit par confondre culture et police des mœurs ». Il est encore trop tôt pour dire si l’Islam indonésien réussira là où l’Islam oriental a échoué mais les autorités religieuses ont déjà dû mettre en place un plan pour tenter de freiner le mouvement conduisant chaque année 2 millions d’Indonésiens à se convertir au christianisme. La piété musulmane visible en Indonésie n’est donc pas forcément un signe d’islamité sincère mais davantage une réaction face à « une modernisation perçue comme occidentalisation (3) ».
En Chine plus de la moitié de la population est athée, ce qui n’est pas très surprenant en régime communiste mais le même phénomène est observable en Corée du Sud capitaliste où, lors du dernier recensement, une majorité de la population se déclare non-croyante : 56 %, contre 20 % de chrétiens et 15 % de bouddhistes.
Au Japon, la religion est une composante importante de la vie sociale mais aucune des deux religions dominantes, le bouddhisme et le shintoïsme, n’est vraiment théiste et comparable aux trois religions du Livre que nous connaissons en Occident. Le shintoïsme, religion d’origine du Japon, regroupe un ensemble de croyances et de superstitions populaires liées à la nature, comme pour les religions animistes.
En Afrique, les deux religions principales, le Christianisme et l’Islam sont en expansion mais pour des raisons essentiellement démographiques. Les religions traditionnelles africaines perdurent cependant partout sur le continent et donnent de nombreuses interprétations spécifiques, au christianisme et à l’Islam.
Avec la mondialisation, derrière la diversité apparente des dogmes et des rites, l’unité transcendante et métaphysique des religions ne peut être ignorée. Il existe cependant une grande différence entre les trois religions du Livre et les religions orientales. Les religions monothéistes sont anthropocentriques. Les religions asiatiques ne mettent pas l’homme au centre de leur doctrine.
Pour les religions monothéistes, tout, absolument tout, procède de Dieu. Pour le bouddhisme tout s’explique sans Dieu. C’est un peu plus complexe dans l’Hindouisme et ses nombreuses variantes : les connaissances (véda) ont été transmises aux sages par l’Absolu, éternel et incréé, d’origine non humaine. Cet Absolu se manifeste sous forme d’innombrables dieux et déesses et de quelque 330 millions de divinités, ce qui n’est pas sans rappeler l’animisme originel dont est issu cette religion. Chacun choisit les divinités qu’il vénère en fonction de ses affinités personnelles, mais aussi de sa caste et de la tradition familiale.
Pour l’Occidental, ces religions sont difficiles à appréhender mais il est très compliqué aussi d’expliquer à un bouddhiste ou à un hindouiste en quoi le fait de croire en la Trinité permet à un chrétien d’améliorer sa vie quotidienne. Aimer son prochain parce qu’il est à l’image de Dieu n’a pas non plus de sens pour le bouddhiste ou pour l’hindouiste. Pour ces derniers, la compassion et l’amour des autres proviennent de l’interdépendance de toutes choses et du fait que nous participons tous de la même nature. La distinction entre les êtres, si évidente pour les chrétiens, n’a plus le même sens chez les bouddhistes.
Pour les religions d’Asie, la connaissance ne provient pas d’une révélation d’autrui mais d’une découverte personnelle. Le Bouddha nous prévient : « ne crois pas parce qu’un maître quelconque te dit de croire, … ne crois pas parce qu’un livre te dit de croire, … ne crois que ce que tu as pu expérimenter par toi-même ». L’équilibre et l’harmonie avec la nature sont également essentiels, ce qui explique aussi l’attrait de ces religions ou philosophies pour de nombreux occidentaux.
L’absence de référence à un Dieu unique à l’image de l’Homme n’empêche pas des centaines de millions de bouddhistes ou d’hindouistes d’avoir des exigences morales élevées.
Tous les systèmes religieux encouragent des valeurs communes comme l’honnêteté, le respect de la parole donnée, la compassion, la fraternité, etc. Ces règles de conduite sont aussi une façon d’augmenter la cohésion et la survie des communautés. Quel que soit le devenir des religions, les interrogations métaphysiques ne disparaîtront pas et les questions existentielles que se posaient déjà Socrate ou Spinoza n’auront probablement pas encore trouvé de réponses définitives à la fin de ce siècle et sans doute au-delà. Dieu sera peut-être mort, pour paraphraser Nietzsche, mais l’homme se passera-t-il de spiritualité?
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(1) Hasan Suroor, « Why are young Muslims leaving Islam ». The Telegraph India (11 sept. 2019).
(2) Christian Bibollet, « Ces musulmans qui quittent l’islam ». Institut pour les Questions Relatives à l’Islam (4 décembre 2019).
(3) Olivier Roy, « Le post-islamisme ». Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée (1999).
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