Cinq grandes langues vont bientôt dominer la planète : l’anglais, le mandarin, l’hindi, l’arabe et l’espagnol. Le français pourrait rejoindre ce groupe avec une politique de la France positive vis-à-vis de l'Afrique.
Environ 7.000 langues différentes sont parlées dans le monde mais 97% de ces langues comptent moins d’un million de locuteurs, certaines n’en ayant même que quelques dizaines. La Papouasie-Nouvelle Guinée, un pays grand comme la Suède, peuplé de moins de 10 millions d’habitants illustre cette diversité linguistique avec plus 800 langues encore parlées sur son territoire.
Toute langue est périssable et moins elle a de locuteurs plus elle est en danger. Dans le contexte actuel de mondialisation, on estime que 90% des langues vont disparaître d’ici la fin de ce siècle. La langue permet de communiquer mais aussi de réfléchir et de penser. Elle est un élément clé d’une culture et de la vision du monde du groupe humain qui l’utilise. Le processus en cours d’extinction de la plupart des langues parlées sur Terre correspond donc à un appauvrissement considérable du patrimoine culturel de l’humanité.
Parmi les 15 langues les plus parlées dans le monde on retrouve les 6 langues officielles utilisées par l’Organisation des Nations unies : l’anglais, le chinois (mandarin), l’espagnol, l’arabe, le français et le russe. On note aussi l’hindi qui n’est pas une langue officielle de l’ONU mais qui est cependant aujourd’hui davantage parlé que le français ou le russe. Le bengali, le malais, l’ourdou et le coréen font parties de la liste des langues les plus parlées à coté des langues qui nous sont plus familières comme le portugais, l’allemand, le japonais ou l’italien.
Nombre de locuteurs actuels (en millions)
des15 langues les plus répandues
L’anglais s’essouffle
L’anglais n’est la langue maternelle que d'environ 400 millions de personnes mais, poussée par la force économique et l’influence culturelle exercée par les Etats-Unis, elle est devenue la langue dominante du monde. Si on ajoute aux locuteurs natifs les personnes ayant l’anglais comme seconde langue ou ayant appris l’anglais comme langue étrangère, on arrive à un total de l’ordre de 1,6 milliard de personnes en mesure de communiquer dans la langue de Shakespeare. L’Anglais est donc la langue la plus parlée de la planète loin devant le chinois (mandarin).
L’hégémonie de l’anglais est une réalité dans tous les domaines. Ainsi plus de 60% de tous les journaux et magazines du monde sont publiés en anglais contre moins de 7% en l’espagnol, 6% en allemand, 4% en chinois, 3% en hindi et 2% en français [1]. Pour les livres, l’anglais est également la première langue d’édition avec 517 146 517 titres publiés en 2017, contre 440.000 titres publiés en chinois, 101900 en russe, 93600 en allemand, 90.000 en hindi, 82.500 en japonais, 77900 en français, 72800 en persan, 61300 en italien, etc. L’anglais arrivent également en tête des publications scientifique : 45% des articles publiés dans les revues savantes sont rédigés en anglais contre 11% en allemand, 7% en mandarin, 6% en espagnol et 5% en français.
Dans le domaine des films et des vidéo, l’anglais représente 35% des productions contre 5% pour l’espagnol, 4% pour l’allemand et 3% pour le français.
Cette suprématie de l’anglais est appelée à perdurer encore quelques décennies mais les premiers signes d’essoufflement apparaissent. Une langue n’est pas hégémonique naturellement : elle le devient parce ce ces locuteurs deviennent puissants et riches.
La Chine devenant la première économie du monde avec un PIB qui dépasse celui des Etats-Unis, le chinois prend de plus en plus d’importance dans les relations commerciales et l’enseignement du chinois progresse partout dans le monde
L’internet est à cet égard un bon indicateur des évolutions en cours car aujourd’hui l’avenir des langues se joue aussi sur la toile. Une langue qui n’est pas utilisée sur l’internet n’est plus dans le coup : elle n’est pas visible, pas audible et exclue des circuits commerciaux.
En 1997, l’anglais représentait 82% du contenu du web, en 2002 la proportion était tombée à 56% et en 2017 il était estimé à 32%. Dans le même temps le chinois n’a cessé de croître, passant de moins de 2% à 18% aujourd’hui. Le commerce en ligne du chinois Alibaba est aussi florissant que celui de l’américain Amazon. Le chinois n’est pas la seule langue en forte dynamique sur l’internet, en particulier l’arabe, le russe, le portugais, l’espagnol et le français progressent à présent plus vite que l’anglais.
Les langues qui disposent de puissants media internationaux ont également un avantage par rapport à ceux qui n’en ont pas. Or aujourd’hui les radios et télévision anglophones ne sont plus seules à diffuser leurs informations et leur culture. CGTN [3] le réseau de la télévision chinoise, avec ses services en langues étrangères contribue au rayonnement et au prestige du pays à l’étranger. Le français déjà quatrième langue de l’internet dispose aussi d’un relai médiatique international efficace avec les chaînes francophones TV5Monde, France24, and Radio France International.
Un autre facteur d’affaiblissement de l’anglais résulte de la décision prise par les anglais de sortir de l’Union Européenne. Après le Brexit, l’anglais ne pourra plus être une langue officielle de l’union Européenne puisqu’aucun autre des 27 états de l’Union n’a opté pour l’anglais comme langue officielle. Les Irlandais et les maltais, bien que parlant anglais, ont opté pour des langues liées à leurs racines comme langues officielles dans l’Union européenne: le gaélique, pour les premiers, le maltais, pour les seconds. Or les statuts de l’Union sont clairs : seules les langues officielles choisies par les états membres peuvent êtres langues officielles de l’Europe. En toute logique plus aucun document officiel de l’Union ne devra être rédigé en anglais.
Par ailleurs, sans la Grande-Bretagne, l’anglais représente moins de 1% de locuteurs, derrière le bulgare, le slovaque et le finnois. Le Français et l’Allemand devraient alors retrouver un poids plus important en Europe, notamment le français qui bénéficie de la fécondité de la France, la plus élevée d’Europe. Est-ce à dire que c’est la fin du Globish, cet anglais abâtardi qui a longtemps servi de langue de travail à Bruxelles ? C’est sans doute aller un peu vite en besogne mais le jeu s’est rouvert. D’autant que les évolutions démographiques et économiques à venir sur la planète vont également remettre en cause les positions acquises.
Selon la revue américaine Forbes[4], en 2050, le français dépasserait ainsi, en nombre locuteurs, toutes les autres langues y compris l’anglais et le mandarin, grâce à l’essor de la population francophone d’Afrique. L’article reprend les conclusions d’une étude de la banque Natixis dont les bases sont néanmoins un peu trop superficielles puisqu’elles supposent que tous les habitants d’un pays parlent la langue officielle du pays alors que la situation est beaucoup plus complexe. Par exemple le français est bien la langue officielle du Sénégal mais le français n’est pas la langue maternelle de la majorité des sénégalais. Au Sénégal, si le français est la langue de l’administration et des élites, le wolof lui est supérieur en nombre de locuteurs. Le peul, le sérère, le mandinka et plusieurs autres langues sont également des langues parlées par de nombreux Sénégalais. A l’inverse, le français reste encore très parlé en Algérie alors qu’il n’a pas le statut de langue officielle.
Ce type de situation se retrouve dans de nombreux pays. A Taïwan, le mandarin est langue officielle alors que la majorité de la population parle le taïwanais. En Inde, l’hindi est la langue officielle du gouvernement central mais elle n’est la langue naturelle que d’environ 40% de la population. Dans ce pays qui compte 234 langues maternelles, face à la pression des états non hindiphones, l’anglais a dû être conservé en seconde langue. A l’île Maurice, l’anglais est imposée par l’administration à la population alors que le français y est la langue la plus courante et que diverses langues y sont toujours en usage parmi lesquelles le bhojpuri, l’hindi, le tamoul, le marathi, le télougou, le oriya, le chinois, l’arabe et l’ourdou. L’indonésien est la langue officielle de l’Indonésie mais pour une majorité d’Indonésiens, ce n’est pas leur langue maternelle. Ils ne l’apprennent à l’école que vers l’âge de cinq ans. En Océanie, c’est même une langue minoritaire étrangère, en l’occurrence l’anglais, qui est langue officielle pour de nombreux états insulaires: Kiribati, Samoa occidentales, Tonga, Tuvalu, etc.
Vers le multilinguisme
Une analyse plus fine des évolutions démographiques et linguistiques conduit à une situation beaucoup plus équilibrée. D’ici la fin de siècle, cinq grandes langues devraient dominer la planète : l’anglais, le mandarin, l’hindi, l’arabe et l’espagnol. Le français pourrait se joindre à ce groupe si la France reste attractive pour les pays africains francophones ce qui suppose que la France aide les pays africains à maintenir un haut niveau d’éducation en français, qu’elle continue et amplifie l’accueil des étudiants africains et abandonne tout complexe de supériorité voir d’arrogance envers l’Afrique. Vers la fin du siècle la francophonie pourrait alors compter près d’un milliard de locuteurs dont 90% vivront en Afrique et Kinshasa serait alors la plus grande ville francophone au monde. Le français aurait alors un poids démographique comparable aux autres grandes langues de la planète
Parmi les six langues mondiales qui s’imposeront d’ici la fin du siècle, le mandarin et l’hindi bénéficieront du dynamisme économique de l’Asie mais leurs locuteurs seront concentrés essentiellement en Chine pour la première et en Inde pour la seconde. Les autres langues étant réparties sur des aires géographiques beaucoup plus variées disposeront d’une meilleure position en terme de communication et de prestige. Ce sera particulièrement le cas des deux langues véritablement internationales, l’anglais et dans une mesure moindre le français, aujourd’hui parlées au quotidien dans 62 États pour le premier et dans 42 États pour le second. L’espagnol et l’arabe sont quant à eux les langues adoptées chacune par 23 États.
Il n’est pas inintéressant de remarquer que parallèlement de nombreux mots deviennent communs aux principales langues : taxi, aéroport, banque, passeport, OK, sport, caméra, soda, whisky, music ou musique, etc. Au total ce sont près de 500 mots qui, indépendamment de leurs formes orthographiques, sont compris partout dans le monde.
Enfin un élément souvent sous-estimé des analystes est l’importance du multilinguisme à l’échelle mondiale. En Europe le taux de bilinguisme est d’environ 50% avec de grande disparité entre par exemple la Scandinavie et les Pays-Bas où la plupart des habitants parlent l’anglais en plus de leur langue nationale et des pays comme l’Espagne, l’Angleterre ou la France où le bilinguisme est peu développé. Au niveau mondial, on estime qu’entre 60 et 70% de la population est au moins bilingue.
Dans beaucoup de pays, non seulement le bilinguisme est fréquent mais il est même indispensable à la vie quotidienne : Inde, Malaisie, Nigéria, etc. Il eut aussi être un puissant atout économique et une source de fierté nationale comme au Liban ou en Hollande. Enfin le multilinguisme a par ailleurs un effet bénéfique pour la santé comme viennent de le montrer plusieurs études scientifiques : il aide à retarder les signes de démences séniles ou de maladie d’Alzheimer et il minimise les conséquences d’un AVC.
En Afrique subsaharienne, il n’est pas rare de rencontrer des personnes parlant 3 ou 4 langues : une ou deux langues africaines plus l’anglais et le français par exemple. En Afrique du sud, pays qui compte onze langues officielles, une conversation peut démarrer en xhosa, passer au zoulou et se conclure en anglais. En Afrique de l’ouest, l’aptitude des Sénégalais à maîtriser les langues est légendaire et explique la réussite internationale de nombreux Sénégalais dans le commerce, la diplomatie et ou encore les activités culturelles.
Dans le futur, les personnes ne parlant qu’une seule langue constitueront une minorité plus ou moins handicapée dans une planète globalisée. Connaître une ou deux des superlangues en plus de sa langue locale deviendra banal.
Dans ce contexte, au siècle prochain, l’Afrique avec sa richesse linguistique incomparable et l’émergence prévisible de son économie, jouera sans doute, avec l’Europe polyglotte, un rôle majeur dans le positionnement culturel et linguistique du futur village mondial.
_________________________________
[1] LECLERC, Jacques. «L’expansion des langues» dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, CEFAN, Université Laval, 23 décembre 2017
[2] PIMIENTA, Daniel. Observatoire des langues et cultures dans l’Internet (juin 2017), [http://funredes.org/lc2017/]
[3] CGTN : China Global Television Network
[4] GOBRY, Pascal-Emmanuel. Forbes, 21 mars 2014 : Want To Know The Language Of The Future? The Data Suggests It Could Be…French
Ajouter un commentaire
Commentaires