L’histoire étonnante du Libéria, colonisé par des anciens esclaves

L'histoire du Libéria est unique en Afrique. Fondé au début du 19ème siècle par la Société américaine de Colonisation pour y installer des esclaves affranchis, le Libéria devient, en 1847, la première république africaine indépendante. Ce nouveau pays va cependant connaître un destin loin du rêve de ses promoteurs.


Au début du XIXe siècle, des humanistes américains élaborent le projet d’établir une colonie en Afrique où les Afro-Américains libérés de l’esclavage pourraient s’établir loin des tensions raciales toujours très présentes aux États-Unis. En 1816, ils créent la Société américaine de Colonisation (American Colonization Society ou ACS).

En 1821, après avoir réuni les fonds nécessaires, l’ACS fait l’acquisition d’un petit territoire sur la côte ouest de l’Afrique situé non loin de l’embouchure du fleuve Saint-Paul, entre l’actuelle Sierra Leone et la Côte d’ivoire. L’ACS crée une petite ville qui prend le nom de Monrovia en l'honneur du président américain James Monroe. et y installe trente familles. La région n’est cependant pas déserte. Elle est déjà occupée par de nombreuses tribus autochtones comme les Kpelle, les Bassas, les Grebos et les Krus, les Vais et les Golas. Malgré les premières tensions qui apparaissent avec les populations indigènes, l’ACS poursuit son projet de colonisation. Entre 1822 et 1867, elle organise le transfert de  20.000  esclaves devenus libres vers ce qui va devenir le Libéria,  le pays de la Liberté. Pour faire face à cet afflux de colons, de nouveaux territoires sont par ailleurs achetés à des chefs de tribus indigènes.

Chef de tribu avec ses 4 femmes et un interprète (fin XIXe siècle)
(The New York Public Library)

Le Libéria déclare son indépendance, en 1847 devenant la première république africaine. Cette indépendance ne sera cependant reconnue par les États-Unis qu’en 1862, peu après le début de la guerre de Sécession.

En 1865, après la défaite des États séparatistes du sud, le Congrès américain vote le 13e amendement à la Constitution des États-Unis d'Amérique abolissant l’esclavage. Dès lors, l’intérêt des américains pour le Libéria décline et les fonds pour l’aide à l’installation des afro-américains en Afrique se tarissent. L’ACS cesse officiellement ses activités en 1867. Dans les années qui suivent, quelques milliers d'autres Afro-Américains arriveront encore au Libéria, mais de manière sporadique. Le flux migratoire organisé prend fin. Au total, de 25 000 à 30 000 Afro-Américains s' installent au Libéria entre 1822 et le début du XXe siècle. Ils se concentrent dans les zones côtières, notamment à Monrovia (la capitale) et dans d'autres établissements côtiers. Ils font finalement peu nombreux en regard d'une population autochtone estimée entre 1 et 2 millions de personnes.

Bien que très minoritaires, les Américano-Libériens marginalisent les populations indigènes, les dominant politiquement et économiquement. De retour en Afrique, les anciens esclaves ou descendants d'esclaves, reproduisent des structures de domination similaires à celles qu'ils avaient subies aux États-Unis. Ils considèrent les populations autochtones comme inférieures et les excluent du pouvoir politique. Ils s’accaparent les terres et les ressources. Ils établissent des structures politiques et sociales inspirées des États-Unis, dominées par le parti unique libérien, le True Whig Party, qui va rester au pouvoir pendant plus d’un siècle.

Membre du Sénat du Libéria en 1893 : la plupart sont des esclaves américains libérés
(photo : Library of Congress)

 Le suffrage censitaire exclut de fait la population indigène.  Il faudra attendre 1945 pour que l’ensemble des citoyens du Libéria obtienne le droit de vote plein et entier, sans distinction d’origine et de genre.

En attendant les autochtones sont souvent soumis à des expropriations de terres, à des travaux forcés et des taxes injustes que les Américano-libériens ne s’appliquent pas à eux-mêmes. Les Américano-Libériens agissent comme une élite coloniale vis-à-vis des populations locales largement exclues du pouvoir et soumises à des pratiques discriminatoires.

Porteurs autochtones du Libéria
(photo : New York Public Library)

L’économie est basée sur l’agriculture avec l’apport d’investisseurs étrangers notamment des États-Unis. Dans les années 1920, la compagnie Firestone réalise de nombreuses plantations d’hévéas pour la production de caoutchouc destiné à la fabrication de pneus dans ses usines. La production de caoutchouc devient la première activité économique du pays. On voit par ailleurs ressurgir au Libéria des pratiques esclavagistes. Certains travailleurs autochtones sont vendus comme esclaves dans des plantations à l’étranger et même jusqu’en Espagne. Les États-Unis mais aussi les puissances les coloniales européennes s’en nquiètent. Le gouvernement libérien est contraint de prendre des mesures pour limiter ces abus et, en 1936, le Libéria ratifie la Convention sur l'esclavage de la Société des Nations, s'engageant officiellement à abolir toutes formes d'esclavage et de travail forcé.
Pendant ce temps, la population autochtone continue de croître, tandis que la population des Américano-Libériens est restée relativement stable. Lors du premier recensement officiel du Libéria en 1974, les Américano-Libériens représentent 2 % de la population totale du pays estimée à 1,7 million d'habitants.

Les collecteurs du latex des plantations d'hévéa au point de ramassage de la compagnie Firestone
(Photo : Collections, George A. Smathers Libraries, University of Florida)

Les africains autochtone supportent de moins en moins le pouvoir oppressant de la minorité afro-américaine. De nombreux conflits éclatent ici et là. En 1980 un coup d'État mené par Samuel Doe, un autochtone de l'ethnie Krahn met fin à la domination des Américano-Libériens. Le pasteur Tolber, président en exercice, est assassiné ainsi que plusieurs ministres. Samuel Doe instaure rapidement un régime dictatorial, marqué par de terribles violences et une corruption généralisée. En 1989, Charles Taylor un ancien collaborateur de Doe, renvoyé pour détournement de fonds, lance une insurrection qui va rapidement se transformer en guerre civile  entre les diverses factions. Des atrocités et crimes de guerre sont commis de part et d’autre. Des enfants sont drogués et enrôlés comme soldats. Samuel Doe trouve la mort, assassiné par Prince Johnson, un ancien lieutenant de Taylor qui a fondé son propre mouvement révolutionnaire. Au bout de sept années de guerre, Charles Taylor s’impose et se fait élire président du Libéria en 1997.

Combattants durant la seconde guerre civile au Libéria
Phot : James G. Antal, R. John Vanden Berghe,

Après une brève période de paix, les combats reprennent en 1999. Les exactions et les trafics de toutes sortes de Charles Taylor amèneront les Nations Unies et les grandes puissances à  contraindre le despote à la démission en 2003. Le sanguinaire Taylor s’enfuit au Nigéria mais un tribunal international le condamne à 50 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il finira par être capturé et enfermé dans une prison britannique. 

Le bilan des guerres civiles du Libéria est terrible : environ 250 000 morts et des millions de personnes déplacées. Le pays est en ruines, son économie dévastée et ses institutions à rétablir.

Un gouvernement de transition est mis en place avec le soutien des Nations Unies. Une mission de maintien de la paix, la MINUL, est déployée pour stabiliser le pays et des élections démocratiques sont organisées en 2005, Ellen Johnson Sirleaf est élue présidente, devenant la première femme chef d'État en Afrique. Réélue en 2011, elle joue un rôle clé dans la pacification du pays durant son second mandat.
En colonne de droite : voir l'histoire récente du Libéria au XXIe siècle.

L’homme libre est celui qui n’a pas d’esclaves.

 Nicole Védrès


Robert Finley

Robert Finley l’un des fondateurs de l’American Colonization Society est né en 1772 dans le New Jersey. Reconnu pour son intelligence précoce il entre au College du New Jersey (plus tard rebaptisé Princeton University) à l’âge de 11 ans et obtient son diplôme en 1787 à l’âge de 15 ans.

Robert Finley

Devenu pasteur presbytérien,  Finley est persuadé que la meilleure solution à la question des Afro-Américains libres est de les encourager à s’installer en Afrique, où ils pourraient vivre dans une société indépendante.
La Société américaine de Colonisation dont il est très tôt le promoteur obtient rapidement le soutien de nombreux abolitionnistes mais aussi de façon plus surprenante de certains propriétaires d’esclaves qui craignaient que les Noirs libres n’aient une influence sur le comportement des esclaves et ne conduisent à des troubles voire à des rébellions.



Sénat du Libéria
(Dessin de Robert K. Griffin, 1856)


Le Libéria au XXIe siècle

Après les longues années de guerres civiles qui ont marqué son histoire à la fin du XXe siècle, le Libéria semble devenu aujourd’hui un modèle de stabilité démocratique.
En 2005, Mme Ellen Johnson Sirleaf a été la première femme élue présidente d’un pays africain. Appréciée de la population, elle fut réélue pour un deuxième mandat.

Ellen Johnson Sirleaf
Antonio Cruz/ABr, CC BY 3.0

En 2017, les électeurs ont porté à la présidence du pays, George Manneh Weah, un ancien footballeur très populaire et pur « native » (non descendant d’esclaves américains affranchis). Cette alternance réussie et la stabilité retrouvée ont permis le départ, en 2018, de la Mission des Nations Unies pour le Libéria (MINUL) chargée d’aider le pays à sortir de l’engrenage de la violence.

Le pays a récemment connu une nouvelle alternance sereine. Les élections générales de l’automne 2023 ont été organisées dans un climat apaisé. Avec 50,64% des voix au second tour, l’opposant Joseph Boakai a remporté l’élection présidentielle avec son colistier Jeremiah Koung. En reconnaissant publiquement sa défaite avant même l’annonce des résultats officiels, l’ex-président Weah a contribué à un transfert de pouvoir pacifique et démocratique, largement salué par l’ensemble des observateurs et de la communauté internationale.

Après plusieurs années de récessions dues aux crises sanitaires successives (Ebola puis Covid), le Libéria renoue par ailleurs avec la croissance, avec un PIB en augmentation de  4,6% en 2023 et de 5,3% en 2024. Pour maintenir cette dynamique, les priorités affichées du nouveau président sont l’agriculture, les routes, l’état de droit, le tourisme, l’assainissement et la santé. L’effort d’éducation devrait aussi être maintenu dans ce pays où le taux d’alphabétisation n’est encore que de 70%.

Étudiants dans un cours du soir éclairé à la bougie (photo USAID).

L’optimisme renait dans le pays mais la situation reste encore précaire, avec un PIB par habitant de seulement 800 euros par an. Les séquelles des guerres civiles seront longues à éliminer quand on sait que dans les bidonvilles de Monrovia, de nombreux enfants-soldats devenus adultes sont toujours dépendants de la drogue.


Président  Boakai démocratiquement élu en 2024
(photo : Peter Clottey/VOA)

Drapeau du Libéria

Monrovia : l'espoir renaît

(photo : Aristotlè Guweh Jr)