Le tabagisme : de l'Inquisition à aujourd'hui

L'histoire du tabac depuis cinq siècles, des décrets fumeux des papes après sa découverte en Amérique jusqu'à la lutte contre le tabagisme d'aujourd'hui.i

 

La découverte du tabac par les Européens

En 1492, Rodrigo de Jerez, un compagnon de Christophe Colomb, explore l’île de Cuba quand il tombe sur des indigènes en train de respirer la fumée de feuilles qu’ils ont allumées. Le tabac, vient d’être découvert au nouveau monde.

Le tabac rencontre un succès foudroyant dans le monde hispanique. Mais il inquiète le clergé. De retour en Europe, Rodrigo de Jerez est jeté en prison  par l'Inquisition en 1501 : un homme qui fait sortir de la fumée de ses narines est forcément possédé par le diable. Le premier fumeur d’Europe croupira dans les geôles d’Espagne pendant 10 ans. Cortes, le conquistador, aura plus de chance en ramenant de chez les Aztèques les feuilles de tabac roulé qui vont devenir les cigares.

 

Rodrigo de Jerez à Cuba

Jean Nicot s’approprie l’introduction du tabac en France

En France le premier à introduire le tabac est André Thévet, un aumônier franciscain de retour du Brésil. En 1556, il sème quelques graines de tabac dans son jardin d’Angoulême et réussit à faire pousser des plants de tabac. Il fait découvrir les propriétés des feuilles à nombre de ses amis mais Thévet ne laissera cependant pas son nom dans l’histoire. Un opportuniste va lui voler la vedette : Jean Nicot.

Nommé ambassadeur de France à Lisbonne, Jean Nicot y découvre le tabac et ses supposées vertus médicinales. En 1560 il propose à Catherine de Médicis de lui envoyer de la poudre de tabac pour soigner les terribles migraines de son fils, le futur et fragile François II. Sensible aux sciences occultes et aux remèdes miracles, la souveraine accepte la proposition. Le tabac semblant soulager son fils, Catherine de Médicis va faire la promotion de cette poudre que l’on prise ou que l’on chique. Jean Nicot en retire gloire et argent. Le nom scientifique du tabac devient Nicotiana Tabacum et la substance active du tabac est nommée nicotine. Nicot sera finalement anobli pour avoir fait découvrir le tabac à la cour de France et, de là, à l’Europe entière. Le tabac arrive en Angleterre en 1564, en Allemagne en 1566, en Pologne et en Turquie en 1580. L’Amérique du Nord et le reste du monde le découvre au milieu du XVIIe siècle.

 

Les inquiétudes de l’Église et des autorités politiques

Au Mexique, les missionnaires s’inquiètent beaucoup d’une plante qui semble permettre de communiquer avec les esprits et de provoquer des sensations proches de l'extase sexuelle. En 1575, le conseil ecclésiastique de la colonie en interdit l'usage dans les lieux de culte.
En Europe, en 1590, le Pape Urbain VII décrète qu'il est interdit de fumer dans les églises sous peine d’excommunication. L’usage du tabac continuant malgré tout de se développer, le nouveau pape Urbain VIII confirme, en 1624, l’interdiction de fumer et les risques d'excommunication de ceux qui fument ou prisent dans les lieux saints, partout dans le monde.
Les autorités chrétiennes ne sont d’ailleurs pas les seules à s’inquiéter des risques du tabac. En 1633, le sultan ottoman Mourad IV interdit de fumer dans le monde musulman sous peine de décapitation. Une sanction également retenue par l'empereur de Chine Chongzhen, Le Tsar Michel est plus clément, il demande à ce que les fumeurs russes aient simplement les lèvres coupées pour leur ôter l’envie de fumer.

De l’interdiction à la fiscalisation

En Suisse, le pragmatisme prévaut. En 1670, après le Grand Conseil de Fribourg qui a interdit de fumer dans les étables à cause du risque d’incendie, c’est toute la Confédération helvétique qui interdit la consommation de tabac. Elle met en place un système d’amendes pour les contrevenants. La mesure est d’autant plus difficile à faire respecter que les fabricants de cigares et de poudre de tabac sont autorisés à poursuivre leur activité pour autant qu’ils exportent leurs produits dans les pays voisins !

En France, Louis XIV n’est pas un fanatique du tabac mais son ministre Colbert, qui ne perd pas le nord, le persuade facilement qu’il y a là matière à remplir les caisses de l’État. Le "privilège de fabrication et de vente" est accordé à la seule Compagnie des Indes. Le tabac devient un monopole en France.  La Suisse reprend l’idée à sa façon en 1692, elle abandonne sa politique restrictive et autorise le tabac moyennant impôt.

Joyeuse compagnie. Tableau de Simon de Vos, 1631(Musée de l'Ermitage, SaintPetersbourg)

 

Un peu partout, face au tabac, la dissuasion fait place à la fiscalisation. Les amendes ne frappent plus les consommateurs mais plutôt ceux qui ne payent pas les impôts et sont tentés par le marché noir. Au XVIIIe siècle, les anti-tabac tentent bien de le faire interdire de nouveau mais aucune interdiction ne tient durablement.

Même le Vatican se convertit au tabac. Le pape Benoît XIII, amateur de tabac à priser, lève toutes les interdictions de fumer et, en 1779, le Vatican ouvre sa propre fabrique de tabac!

Avec l’invention de la cigarette, en 1847, la consommation de tabac s’envole encore davantage aux XIXe et  XXe siècles.

 

Congrès des fumeurs, 1932 (Agence Mondia/Bibliothèque nationale de France),

La fin du tabagisme ?

La prise de conscience des effets néfastes du tabagisme devient générale en ce début de XXIe siècle. En 2018, la vente de cigarettes est interdite sur le territoire du Vatican, tout un symbole. Le pape François ne veut pas encourager "une pratique qui nuit manifestement à la santé des gens ", précise le porte-parole du Saint-Siège.

Cette addiction reste, malgré tout, encore responsable, chaque année, de huit millions de décès dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Les statistiques montrent  que le tabac finit par tuer la moitié de ceux qui en consomment et, parmi les 8 millions de victimes annuelles, 15% d’entre elles sont des non-fumeurs involontairement exposés à la fumée.

 


Quoi que puisse dire Aristote, et toute la philosophie, il n’est rien d’égal au tabac, c’est la passion des honnêtes gens ; et qui vit sans tabac, n’est pas digne de vivre... 

Molière, Dom Juan (1665) 



Histoire thématique

Le pape Urbain VII
Tableau peint par Jacopino del Conte.
Vers 1590. Musées du Vatican

 

Feuilles de tabac séchées (Leon Kohle)

conditionnement du tabac

Image : Library of congress

champ de tabac

Image : Library of congress

Winston Churchill, en 1950

Winston Churchill, en 1950

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